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vendredi 11 mars 2011

Shape of Despair



Doom, m. noun : destin funeste, perte, ruine, mort, jugement.

Quel délicat nom pour un style de musique, n'est-il pas ? Bon, personnellement, ça me fait plutôt penser au "Prepare to meet your doom !" de Captain Orgazmo.

Profitez-en, la suite de cet article sera moins marrante.

Mais le style musical répondant au doux nom de doom-metal est très loin de ces primesauteries idiotes pour adolescents attardés (oui, j'adore ce film). Inspiré majoritairement par les premiers albums de Black Sabbath, le genre émerge au milieu des années 1980, caractérisé par des tempos très lents et des riffs très lourds. Le premier album du groupe Candlemass, en 1986, donne son nom au mouvement, qui évolue ensuite, se scinde en différents sous-genres, du plus "gentillet" (le stoner, une bonne variante pour défoncés à la marijuana, avec des groupes comme Electric Wizard ou Acid King en tête de liste, et dont le merveilleux groupe Mastodon tire de grandes influences) au plus difficile d'accès (le drone, glauque et très grave, à la limite de l'inaudible pour une écrasante majorité de la population humaine -- essayez de tenir tout un album de SunnO))), vous verrez).

Quelque part entre les deux se tient ce que certains spécialistes (autoproclamés, bien entendu) nomment le funeral doom, une sorte de ralentissement nostalgique, voire désespéré, du death/doom. Rien que ça. Merci pour la nomenclature, les mecs. Mais (je reprends) ce style a ceci d'incroyable que certains groupes arrivent à y insuffler une beauté et une émotion incroyables, et plus particulièrement le groupe dont au sujet duquel que je voulions vous parler : Shape of Despair.

"Angels of Distress", tirée de l'album du même nom. Lenteur, beauté, mélancolie, mélodie, beigne.

Formé en 1995, le groupe finlandais met quelques années à se faire remarquer, jusqu'à la sortie en 2000 de leur premier album "Shades Of...", sur lequel il annonce clairement la couleur : les sons sont lourds, les ambiances sombres et tristes. La voix gutturale, étouffée à coups de réverb, pourrait donner cette impression de suffocation sur laquelle la scène drone, notamment, joue beaucoup ; mais de subtiles mélodies (notamment de flûte, un instrument qu'on ne retrouvera plus par la suite) ajoutent une étrange beauté à l'album, dont les cinq chansons et les cinquante-sept minutes, rien que ça, invitent à un étrange voyage cérébral. Il y a encore une certaine rugosité dans leur son, clairement empruntée à des origines death-doom, et rendant cet album sans doute plus "agressif" que ses successeurs.

"In the Mist", qui ouvre "Shades Of...". Comme une profondeur délicate derrière ces murs de guitares et de grunts...

L'année suivante, le groupe remet le couvert avec "Angels of Distress", concept-album de cinq titres et cinquante-cinq minutes (décidément !) suivant le parcours de l'âme d'un fraîchement défunt, depuis le départ de son corps jusqu'au passage des portes du Ciel. Le suivi de son parcours est bien entendu moins joyeux que presque tout ce que vous aurez pu lire ou entendre sur les NDE : au lieu de regarder avec joie vers la lumière, l'âme déplore son arrachement au monde des humains et en profite pour poser la question de la signification de l'existence. La musique qui accompagne cette traversée non-désirée peut sembler un arrache-coeur : plus lente et mélodique que "Shades Of...", elle est aussi plus prenante encore, débordante de ces émotions que tant de personnes passent leur vie à essayer d'éviter. Et c'est là où elle s'enracine et prend tout son sens et son charme incoercible : elle réveille des émotions profondes, toujours plus ou moins vivaces en nous, et les sublime, leur donne une beauté surprenante qui outrepasse totalement l'association inconsciente tristesse/souffrance à cause de laquelle nous rejetons la tristesse comme une source de douleur inutile.

Sérieusement, une émotion qui donne naissance à ce genre d'oeuvres peut-elle être intrinsèquement mauvaise ? (Extrait de "Quiet These Paintings Are", sur "Angels of Distress".)

Dans cet album, comme dans le suivant ("Illusion's Play", sorti en 2004, qui suit une voie plus "progressive" : mélodies un peu plus mises en avant, rythmiques plus originales), Shape of Despair donne un nouveau sens à la tristesse, la ramenant à sa place d'émotion fondamentale, et nous en livrant une version épurée, dont la limpidité échappe à tout jugement de valeur infondé. La beauté de la mélancolie est ici démultipliée, amenée à une sorte d'état primaire par une alchimie étrange, et débarrassée de tout dolorisme malvenu pour ne plus être qu'une source de ressenti purifié. Une fois débarrassé de ses propres préjugés, on ne peut pas y trouver de malveillance ni de rumination : seulement une émotion, une vibration première, libre de tout jugement de valeur, de bien ou de mal.

"Fragile Emptiness", cinquième des six chansons de "Illusion's Play".

Le terme Zeuhl est utilisé en référence au groupe Magma, qui est à l'origine de ce genre musical. Dans la langue imaginaire créée par son fondateur Christian Vander, le kobaïen, « Zeuhl désigne une sorte de mémoire cosmique en relation avec l'univers, qui aurait mémorisé tous les sons existants dans les profondeurs de notre esprit. C'est lorsqu'on arrive à se dégager de toutes choses en musique que cette mémoire entre en activité pour correspondre avec l'univers tout entier. » (Tiré de fr.wikipedia.org)

C'est à des groupes comme Shape of Despair que j'ai pensé en choisissant ce nom. Il était temps de leur rendre justice.

Après quelques années de relatif silence, Shape of Despair ressort de sa crypte fin 2010, avec un EP deux titres (d'à peine douze minutes -- les chansons s'écourtent) "Written in my Scars", qui ne laisse présager que du bon : dans la lignée de "Illusion's Play", avec quelques années de maturité en plus, et toujours ce ressenti primordial qui ne peut pas laisser indifférent.




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