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mardi 9 août 2011

Le Diktat


"Projet bicéphale" d'industriel multi-influences, du hip-hop au noise, Le Diktat est (au départ) un duo français plus qu'étonnant.  La pochette de leur premier album, étrangement nommé "2+2=5", est une superbe allusion à la mécanisation de l'être humain ; le visuel est délibérément inspiré par les affiches de propagande communiste de l'ex-URSS, mais je persiste à croire qu'il s'agit d'une métaphore de la société actuelle -- ce ne sera pas le premier groupe d'industriel à faire passer un message altermondialiste, après tout… et d'ailleurs, d'après le duo lui-même, l'album est un hommage au roman 1984.

...ça a une sévère gueule, quand même.

Sur le plan musical, c'est à un industriel mélodique très racé que l'on a affaire ; un post-industriel, devrais-je peut-être dire, tant sont riches les ambiances installées dans chaque chanson, à coups de sifflements ou de distants sons percussifs sortis d'on ne sait quelle machine hydraulique ("Deleter (Zavod Edit)", "Obscurantis Order", "Nihil (C-drik Rmx)"), de voix surgies de nulle part ("Freizvery (featuring Sigma)" et son contrôle cathodique), de samples symphoniques et de rythmiques changeantes ("Zavoktat", "Convulse", les échos bloque-cervelle de "Propagate"). 


De cet étrange univers mid-tempo, on ne retiendra pas forcément une track particulière, mais un esprit, sombre et envoûtant, insidieux sans jamais en devenir agressif, jouant avec le bruit sans jamais sombrer dans le noise, relativement facile d'accès mais riche et savamment travaillé. La relative lenteur des rythmiques utilisées devient obsédante : on aimerait que tout explose, pour se libérer de ce poids étrange qui appuie contre notre poitrine, mais Le Diktat parvient à rendre lancinants jusqu'aux rythmes breakbeat ("Fate"), comme pour jouer tout au long de l'album avec la tension qu'il instaure ("Dready Day" et ses grésillements à la 5F_55). C'est une sorte de soulagement, à la fin de l'album, de se prendre en pleine gueule "Eviction" et sa rythmique implacable, quelque part entre Synapscape et Lith (bien plus proche du second, ceci dit) : elle nous prend par surprise, parce qu'on ne s'y attendait plus, comme pour nous enfoncer la tête sans aucune chance de rémission dans des ténèbres qui auront mis presque une heure à s'installer complètement. L'album s'achève sur un remix de "Propagate" par Communication Zero (à qui l'on doit aussi une des meilleures tracks de l'album "No Opportunities in Standard Experiences" de Sulphuric Saliva), qui officie ici dans son style le plus technoïde et grésillant, dans l'esprit de ses tracks les plus "dancefloor" comme "Lose Kontrol" ou "Not Your Friend". 


La seule critique que l'on pourrait émettre concerne le choix d'avoir mis cette track à la fin de l'album, à vrai dire : développer une ambiance si riche et la faire détonner avec une track comme "Eviction" tient de l'exploit musical. Bien qu'excellent, le remix de Communication Zero coupe un peu l'élan du reste, en sautant dans un autre monde relativement distant de celui du Diktat, en fin de compte. Cet aspect "danceable" n'est pas raccord avec le reste, pour moi. 


Sur son deuxième album "Unabomber" (un titre qui joue clairement la provoc et l'opposition), Le Diktat désormais unicéphale semble avoir remis le couvert du premier (même au niveau de la pochette)… mais pas seulement. Dès la première track, "Introspect", le style se reconnaît entre mille, mais l'évolution musicale est flagrante : rythme lancinant et grésillant, sample de piano, voix lénifiante, petits bouts de breakbeat qui surgissent par surprise, le tout avec une densité sonore aussi envahissante qu'appréciable ; Le Diktat va plus loin dans son monde, à la fois plus sale ("Doggybrain") et plus ambient (la presque IDM "Fuck All Computers"), avec toujours, en fond, le même engagement politique, quelque part entre utopie et nihilisme (les textes éloquents de "Quand Il Ne Restera Plus Rien" en témoignent). 


Les angles choisis, les points de vue sur le monde, sont plus agressifs et rentre-dedans, avec une plus grande place faite au breakbeat ("Cold Fusion", "Tryrb") et aux influences extérieures ("Table Rase" et "Clear Message" empruntent étonnamment au hip-hop, tandis que certaines sonorités de "Room 101" rappellent les anciennes œuvres de Hellfish -- le meilleur ami de DJ Producer -- et que "Satan Buddies" est en fait une reprise du dernier album "Pink Panther Party" du groupe de fluo-électro-punk Punish Yourself), mais toujours en prenant le temps d'instaurer des ambiances riches, envoûtantes et, surtout, cohérentes (on ne sent pas de discontinuité même en passant des mélodies orientales de "Escape (feat DAS)" aux chants ragga, rendus presque tribaux, de "Tryrb"). La plus grande richesse musicale de cet opus en fait une œuvre plus complète, bien plus intéressante aussi, dans laquelle chaque morceau ressort plus clairement mais en faisant toujours partie d'un tout construit et solidaire. 


Que dire de plus ? Encore une preuve que l'industriel français est vivant et puissant. Vivement le Noxious Art Festival



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