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jeudi 6 octobre 2011

Esoteric


A la simple écoute de "The Maniacal Vale", dernier album en date de ce combo anglais (sorti en 2008), on réalise que le groupe Esoteric n'a pas volé son nom. Petite explication de texte : l'ésotérisme est caractérisé par une doctrine ou un mouvement spirituel réservé à des initiés, et que de rares personnes connaissent et/ou pratiquent. En ce sens, le doom metal est clairement un style ésotérique, d'une part car il est inaccessible au commun des mortels qui ne font pas l'effort de s'y plonger, presque hermétique à première vue (pour ne pas dire repoussant tant nous projetons un dégoût quasi-instinctif sur tout ce qui n'évoque pas de "bons" sentiments), et demande en partie un effort d'auto-initiation particulier ; d'autre part car il est profondément spirituel.

Zeuhl, biatch.

Attention, je ne parle bien sûr pas de cette spiritualité gnangnan à tendance nouvel-âgiste que les niaiseries musicales, audiovisuelles et autres nous font bouffer sans vergogne depuis qu'une bande de vendeurs de soupe en quête de nouvelles cérémonies sodomites a eu l'idée géniale de ravaler à la fois le mouvement hippie, la recherche de sens inhérente au fait d'avoir (pardon, d'être) une âme et l'ensemble des religions et pensées orientales au rang d'une masturbation pseudo-spiritualiste frénétique que le premier Bouddha ne pourrait pas mieux qualifier qu'en éclatant d'un rire bonhomme qui vous ridiculiserait tous en même temps, oui, vous, bande de tortues aquatiques décérébrées, fascinées par tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la merde. Recherche de sens, quête divine, étude de la relation entre le corps et l'esprit, passent également par la découverte de ses "mauvaises" émotions, l'exploration de l'animal effarouché qui se terre derrière la carapace de l'homme du monde, et l'acceptation salvatrice de ces aspects de nous-mêmes comme d'une simple partie d'un tout.


Les ténèbres aussi sont belles, et fascinantes même, alors quel est le problème à ce que l'abîme regarde en nous, après tout ? "The Maniacal Vale" est un splendide abîme, d'une poésie noire et envoûtante, quelque part entre la catharsis et le psychédélisme (au sens premier de "révélation de l'âme", et non dans celui de "contre-culture influencée par l'avènement des psychotropes"). Ce double album d'une heure quarante et sept morceaux est une invitation à un voyage bien différent de celui que Baudelaire rêvait ordonné, beau, luxueux, calme et voluptueux ; lorsqu'il nous entraîne par la main, on se répand et se tord en volutes d'une difficile beauté, tant est intense et lourd ce trajet presque langoureux qui nous extrait de notre quasi-cécité ordinaire pour nous faire redécouvrir nos émotions enfouies.

"Beneath this Face", deuxième morceau de l'album.

Une des grandes forces de ce groupe, c'est qu'il s'extrait des limites que le funeral doom voudrait imposer pour développer son univers. Entre l'ambiant pur (l'introduction de "Quickening") et le côté malsain du black-metal (quelques passages de "Beneath This Face"), flirtant même parfois avec le post-rock (le début de "Silence"), Esoteric se fraie une voie subtile et raffinée, qui gagne en beauté et en variété ce qu'elle offre en mélancolie, en sourde rage et en amertume. La mélodie n'est jamais délaissée, et on se surprend à respirer au son d'une délicate envolée de guitare ("Circle") ; puis on replonge dans une noirceur terriblement attirante ("Quickening" encore), vibrant d'un rythme propre, entrant dans sa propre transe ("Caucus of Mind") et s'enivrant de ses propres circonvolutions, entre rage et désespérance, entre obscurité réconfortante et douloureuse clarté. Les chants passant du hurlement black au grunt avec une facilité insolente et le mur de sons créé par les trois guitares insufflent au tout une lourdeur déconcertante.

"Quickening", troisième morceau de l'album. (Les deux morceaux qui illustrent cette chronique sont parmi les plus courts de l'album... D'autres dépassent les vingt minutes.)

Il y a une densité et une émotionnalité tout simplement extraordinaires dans cet album puissant et incroyablement original, cette véritable expérience, variée, inspirée, mélodique, inédite, aussi irrésistible qu'insoutenable, qui enrichit un genre en s'affranchissant de ses limites ; un objet rare, quelque part entre la pipe de salvia divinorum et la poupée vaudou, que je n'arrive pas à écouter sans avoir la larme à l'œil et les tripes nouées jusqu'à l'anus. Alors, oui, j'aurais également pu parler de ses prédécesseurs, dans l'ordre : le foutraque double album "Epistemological Despondency" en 1994, le suffocant et incroyable "The Pernicious Enigma" en 1997 (double également -- c'est une véritable épreuve d'écouter les deux albums à la suite) ; puis "Metamorphogenesis", en 1999, qui, de par sa variété et sa fluidité, prouve définitivement qu'Esoteric est le groupe à écouter et à suivre ; et "Subconscious Dissolution - Into The Continuum" qui, cinq longues années plus tard, enfonce encore le clou, avec un sens insolent de la mélodie et de l'arrangement, et cet aspect "l'Apocalypse sera spirituelle ou ne sera pas" poisseux jusqu'à la moëlle.

Seulement, voilà : les trois derniers albums d'Esoteric partent du même état d'esprit, utilisent la même (immense) palette d'outils, parviennent à fusionner leurs influences dans un même brasier, sont tous les trois émotionnellement ravissants autant qu'épuisants... mais chacun est mieux foutu que le précédent. A cette différence près, il aurait fallu que je fasse trois fois la même chronique, et je ne voulais pas vous imposer un tel calvaire. Ce qui est clair, en revanche, c'est que, si "The Maniacal Vale" est sans doute le meilleur point d'entrée possible dans la discographie du groupe, les albums qui l'ont précédé méritent également que l'on s'attarde sur eux.




MySpace : http://www.myspace.com/esotericuk

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