"Putain, qu'est-ce que ça déboîte !" Oui, bien sûr, je suis conscient que cette simple phrase ne constitue pas une chronique à part entière, et je m'attends à ce que vous me demandiez de développer quelque peu. Sachez que je vous trouve un peu durs, sur ce coup-là, mais je vais m'y attaquer.
Gojira est un groupe français, eh oui, encore un, né dans les Landes en 1996. Leurs débuts, sous le nom de Godzilla, est un son death-metal aux influences Metallica qui, le plus honnêtement du monde, ne casse pas trois pattes à un canard, mais semble prometteur. Le label Gabriel Editions ne s'y trompe pas, et le premier véritable album de... oh, attendez. Gabriel Editions est un label made in Goj', sur lequel sont sortis tous leurs albums, ainsi que l'unique album d'Empalot, projet parallèle plus bon-enfant du chanteur Joe Duplantier et de son frère Mario. Beh oui, c'est aussi la force de Gojira : c'est un projet "familial". Le groupe part des frères Duplantier, les deux dernières pochettes d'album sont de Mario, les clips sont réalisés par un Duplantier (Alain de son prénom, réalisateur et photographe, dont vous avez sans doute vu quelques publicités pour Citroën ou Carte Noire pour lesquelles il a été chef opérateur), l'actrice récurrente des clips est une Duplantier (Gabrielle, photographe, modèle photo et écrivaine "à ses heures perdues")...
Le premier album de Gojira, donc, "Terra Incognita", sorti en 2001, est un album qui entame à lui tout seul une mini-révolution, confirmée deux ans plus tard par son successeur direct "The Link" , car, en triturant les codes du genre, le groupe parvient à lui instiller une énergie d'une positivité, voire d'une spiritualité, inédite dans le genre (la rythmique hypnotique de "Blow Me Away You (Niverse)", l'ambiance posée par les backing vocals de "Embrace the World", etc.), tout en atténuant la noirceur du death-metal au profit de son côté pachydermique, dense et profondément irrésistible, presque tribal ("Love", "Indians", et presque toutes les autres).
Le clip de "Love", tirée de l'album "The Link".
Les paroles elles-mêmes sont bien plus proches d'écrits mystiques que des histoires de tripaille chères à la plupart des groupes de death-metal -- Cannibal Corpse et Yattering en tête. Introspection, rapport à l'individu et au soi, respect de la mère Nature, circulation des énergies vitales, compréhension et acceptation de la mort... Loin de hurler bêtement des paroles écrites à la va-vite ou de s'enrager basiquement derrière un micro, Joe Duplantier nous parle de l'esprit et de ses circonvolutions, de l'Âme et de la liberté totale, de notre place sur Terre et dans l'Univers -- et cet aspect fondamental de Gojira, cette spiritualité sous-jacente, est en filigrane dans l'ensemble de leur musique. Elle explose même dans certains passages qui nous subtilisent par surprise et nous portent au-dessus de nos errances humaines (la fin de "Inward Movement", par exemple).
Le troisième album, et avant-dernier en date, "From Mars to Sirius", pousse encore plus loin cette mystique musicale. Là où les deux premiers se posaient encore des questions et souffraient encore d'en chercher les réponses ("Against our will, wisdom comes"), celui-ci s'ouvre sur une nouvelle dimension de l'Humain, où les questions n'ont plus lieu d'être, où l'Homme revient à sa force fondamentale ("Backbone", "The Heaviest Matter of the Universe"). La puissance évocatrice de la musique seule est un souffle d'air frais, chassant les idées noires et les sous-produits de notre marasme intellectuel ; un vent de libération balaie ce pessimisme au ras des pâquerettes, au sujet duquel notre esprit nous souffle fallacieusement qu'il est un réalisme appuyé, pour nous montrer une autre voie, un autre regard sur le monde et sur nous-mêmes.
Le clip de "To Sirius", tirée bien sûr de l'album "From Mars to Sirius"
Après une telle déferlante de lumière, il était dur de s'attendre à une véritable et intégrale réussite pour leur album suivant. "The Way of All Flesh", longuement attendu (en Europe, mais aussi aux Etats-Unis où les albums de Gojira étaient enfin distribués), est venu pour prouver, s'il en était encore besoin, l'incroyable inspiration et l'inhabituelle capacité de renouveau du groupe. La musique est plus sombre, plus ambiguë ; l'âme est tiraillée entre la lumière cristalline que la Foi lui apporte, qui était le centre même de "From Mars to Sirius", et les ténèbres opaques de l'impermanence et de la Mort. Les compositions sont au coeur du conflit, ballottées au gré de la tempête ("All the Tears" et son superbe vidéo-clip), quelque part entre l'angoisse fondamentale d'être mortel ("Vacuity") et la croyance inébranlable en une éternité et une force implacable de l'âme ("Esoteric Surgery").
Le clip de "Vacuity", sur "The Way of All Flesh". Le ton change, en effet...
Les amoureux inconsolables de l'énergie très tribale des débuts sont encore plus attristés par cet album que par le précédent ; les autres suivent de bon coeur cette nouvelle étape du voyage, chargée de sombre évolution, vibrante, durement ésotérique, rencontre du yin et du yang, de la désespérance et de la foi, écho condensé et intensifié de nos frustrations et de nos rêves.
MySpace officiel : http://fr.myspace.com/gojira
Site officiel : http://www.gojira-music.com/
Site des labels Mon Slip et Mon Pauvre Ami : http://alaniche.fr/
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