Ca va commencer à me lasser, tous ces albums que je suis obligé de qualifier de superbes, de grandioses, de magiques. Mon dictionnaire des synonymes s'use à vue d'œil, et tout ça à cause d'un simple choix éditorial : parler en priorité de ce que j'adore. Yann Souetre, alias Remain Silent, est de ceux-là : découvert il y a six ou sept ans, au détour d'un stand d'albums, ivre de vodka orange (entre autres), quelque part entre le set d'Iszoloscope et celui d'Imminent. Il est des souvenirs qui marquent, forcément. Bref : bienvenue dans un monde détruit par l'Homme et reconstruit par le robot, puisque c'est l'univers, à mi-chemin entre anticipation étouffante et science-fiction métaphysique, que le talentueux Remain Silent nous raconte dans sa prenante trilogie mélodico-industrielle "Men Machines Souls".
Tous les visuels sans exception sont de Yann Souetre, aka Remain Silent.
Dès son premier album, "Tension > Introversion > Destruction" ou "T>I>D" pour les intimes, sorti sur Brume Records (le label de l'excellent Flint Glass) en 2003, Remain Silent nous dévoile l'étendue de son talent et de ses influences. L'album, soit trois titres de 23 minutes chacun, décomposés en quatre à sept parties qui pourraient en fin de compte être chacune un morceau à proprement parler, parvient à ratisser très large sans pour autant manquer de cohérence. Quelque part entre l'orchestration des bandes originales de science-fiction et le bruitisme élaboré des signatures Ant-Zen ou Hands, récupérant autant les constructions industrielles de Oil10 ou de Synapscape que les envolées mélodiques/ambientes de Tangerine Dream, "T>I>D" nous fait vibrer tantôt sur des rythmiques noise incisives, tantôt sur des lignes de piano, de violon ou de synthé sorties de nulle part, dans un album qui constitue à lui seul un grand voyage dans des terres étranges, presque post-apocalyptiques, où l'Homme confronté à la machine se dirige lentement vers sa perte. D'ailleurs, l'ensemble des visuels associés à cet album, et à ses deux successeurs, ne trompent pas : faits par Yann Souetre lui-même, dont le talent visuel est décidément à la hauteur de ses constructions musicales, ils participent à l'immersion sur des terres mécanisées aux relents de steampunk et de H. R. Giger, et témoignent de la même méticulosité et du même gigantisme qui donnent à "T>I>D" une allure d'œuvre complète et raffinée.
Dès le tout début de l'album, on sent qu'on n'est pas tombé n'importe où...
"Dislocation", le deuxième tome de la trilogie "Men Machines Souls", opte pour une approche musicale plus large encore, nous livrant tour à tour une sorte d'hybride électro/indus à relents d'IDM pas chiante, ce qui est quasiment un exploit dans ce genre ("Part 2", "Part 5", "Part 9"), et des ambiances très lentes et fantomatiques qu'un Triatoma ne renierait pas ("Part 3", la prenante fin de "Part 8", "Part 10"), pour retourner ensuite à un style électro-indus très mélodique et subtil ("Part 4", la presque bruitiste "Part 6" -- à ne pas laisser dans toutes les oreilles), sans nul doute plus abouti encore que sur "T>I>D", et au service de ressentis encore différents. "T>I>D" était l'album de la rencontre, du conflit, du mouvement ; "Dislocation" pourrait être celui des ruines et des cendres, bien que, paradoxalement, il intègre très naturellement certaines des rythmiques les plus rapides que Remain Silent ait jamais pondu (la longue et nerveuse "Part 5").
La "Part 7" de "Dislocation". En un mot, euh... Disons "miam".
"Ether - Asphalt" conclut la trilogie en continuant et en prolongeant l'exploration multigenres déjà largement initiée par les deux premiers albums : de l'industriel aux rythmiques mécaniques presque tribales ("Part 3" aux doux relents de Synapscape, "Part 8") à l'ambiant teinté d'EBM (la douce et délicieusement claire-obscure "Part 5", la quasi-psychédélique "Part 10"), du breakbeat bruitiste ("Part 1", "Part 6" et ses sonorités de guitares steampunk) aux envolées mélodiques fumées ("Part 7", "Part 11" et sa partie de piano simple mais terriblement envoûtante), Remain Silent continue de nous surprendre à chaque track, et l'histoire qu'il raconte se déroule devant notre esprit, naturellement ; conflit, évasion, reconstruction, froideur, espoir, sont retranscrits avec force par l'ensemble de cette trilogie étonnamment variée mais toujours unie. Et au final, les trois heures et demie de "Men Machines Souls", depuis les premiers bleeps de "Tension" jusqu'aux onze minutes de la dernière partie de "Ether - Asphalt", passent comme le meilleur des films : cohérent mais incroyablement riche en rebondissements, émouvant mais jamais larmoyant, faisant appel autant à la perception qu'à l'imaginaire et à la sensibilité - une sorte de spectacle total (âme, esprit, corps) et donc, forcément, captivant sans chance de rémission.
En tout cas, moi, je ne m'en remettrais pas de sitôt. ("Part 3".)
Vous voulez savoir le meilleur ? Tout cela est gratuit, totalement gratuit, laissé à disposition par Yann sur son site internet. Les trois albums en intégralité, accompagnés des visuels que vous pouvez voir dans les vidéos ci-dessus et de bien d'autres images intéressantes (making-of des visuels, synopsis, influences...), sont dans une superbe archive que le monsieur vous laisse libres d'écouter, copier, distribuer. En n'oubliant jamais de le citer comme unique auteur, bien entendu. C'est-y pas sympa, ça ?
C'est ici que ça se passe : http://www.remain-silent.net/
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