Toutes les photographies de cet article sont de Josselin Passepont, que je remercie. Visitez donc son DeviantArt.
Bougrac. Drôle de nom pour un petit festival… D'autant plus que je l'aurai surtout vu orthographié "BOUGRRAAAAAAAAAAC !", ce qui n'arrange rien. C'est en fait le nom d'un studio indépendant de la rive gauche. L'Emporium Galorium leur a ouvert sa cave le week-end dernier, pour deux soirées de trois concerts chacune ; je n'ai pu hélas être présent qu'à la première, mon samedi étant occupé à, euh… des choses que la morale réprouve. On était nombreux, ça sentait fort, un peu comme dans un concert… sauf qu'on était en cravate-chaussettes, et que… bref. Je m'égare. Bougrac, donc. Trois concerts le vendredi soir, trois concerts le samedi. Je suis allé voir ceux du vendredi. Comme ça. Pour voir.
La soirée s'ouvre avec le groupe Deux Tiers De Sextet, dont le nom est trompeur puisque ce n'est pas un quatuor qui arrive sur la minuscule scène de l'Emporium Galorium mais un quintette. La joyeuse troupe, qui a déjà eu le temps de se montrer sur la scène rouennaise, compte parmi ses rangs Thibault, qui officie en solo sous le nom de Général Midi, et, à la guitare, Nicolas, celui-là même qui torturait sa contrebasse aux côtés du dit Général devant une poignée de curieux il y a quelques mois. La scène musicale de Rouen est une grande famille…
Ce concert fut une de mes grandes découvertes musicales de l'année. Non, ce n'est pas du copinage : avec ses dysrythmies et polyphonies instrumentales en tout sens, Deux Tiers De Sextet est l'enfant difforme que Frank Zappa aurait eu avec la femme de Christian Vander, posant sur des ambiances plus ou moins lourdes, parfois presqu'enfantines, étouffantes à d'autres moments, des paroles dont le discret sens de l'absurde post-dadaïste se faufile jusque dans les douloureuses descriptions de l'ennui des salles d'attente. Une organisation couplet/refrain empêche leur mathrock d'être structurellement incompréhensible, pour plus s'attarder sur les polyrythmies et les superpositions mélodiques (parfois à la limite de la dissonance) des guitares et de la basse, jouant ainsi sur un terrain de composition finalement proche de celui d'un Meshuggah, mais pour un rendu radicalement différent.
La simili-normalité qu'apporte à leur suite le groupe Parade ressemble autant à une bouffée d'air qu'à une douloureuse rupture, tant il est à la fois reposant et ennuyeux de ne plus compter que jusqu'à quatre ; mais l'accroche est surtout rendue difficile au départ par la voix de la guitariste-chanteuse, hésitante et criarde lors des deux premières chansons, venant faire claudiquer un rock pourtant très bon, énergique et sans concessions. Et puis, sans crier gare, la voici qui redresse la barre [NdR : la rime est involontaire], transformant ses hurlements craintifs en rugissements chauds et envoûtants, insufflant à la gouaille graisseuse de Parade la force mélodique qui vient la compléter ; et c'est le groupe entier qui vocifère en chœur et nous invite à le suivre. Le faux départ aura été très rapidement rattrapé, et c'est globalement un set enragé que Parade nous offre. Si le public leur avait renvoyé ce que le groupe lui a offert, les murs de l'Empo se seraient fissurés.
Le Général Midi vient conclure cette agréable soirée, comme un cheveu sur la soupe, comme toujours. Il cherche désespérément le verre de calvados qu'il a égaré il-ne-sait-où (je crois qu'il croit que je le lui ai volé). C'est cette fois un duo batterie-guitare qui lui tient compagnie lors de la première moitié de son set, foutraque, forcément foutraque.
Je l'ai déjà dit, je le répète : Le Général Midi est l'incarnation du foireux grandiloquent, de l'imperfection érigée en qualité, de la majestueuse indolence. Il n'est pas professionnel, il ne se rappelle plus ses paroles, il a bu, il a mis sa plus moche casquette pour faire plaisir à ses fans : c'est un personnage, un Didier Super sans-trop-faire-exprès (il lui rend d'ailleurs un hommage explicite dans la chanson "Petit Leucémique") ; cependant, ses paroles sont travaillées, lissées, précises, drôles, et l'absurde de ses instrumentations est travaillé au millimètre -- curieux paradoxes... La setlist n'a quasiment pas changé depuis la dernière fois, mais comme le Général joue sans filet, le spectacle est forcément différent. Cet homme travaille son amateurisme avec professionalisme, et c'est pour ça qu'on l'aime.
Quelques semaines après l'excellent concert mathrock/8-bit qui avait regroupé en ces mêmes lieux les très bons groupes Syntax Error, Theusz Amstrad et O'o,° (je n'avais malheureusement pas chroniqué ce concert, mais je vous recommande de jeter une oreille), l'Empo accueille de nouveau une belle brochettes d'artistes à suivre. La scène rouennaise bouge, messieurs-dames.
Deux Tiers De Sextet : site officiel / MyOwnSpace
Le Général Midi : site officiel / MySpace (défunt)
1 commentaire:
ça fait bien plaisir , surtout quand le commentaire montre l'oreille affutée du chroniqueur.
chapeau!
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