Sous l'étiquette très arbitraire "doom-metal" peut se cacher beaucoup de choses, des ambiances mélancoliques voire dépressives de Shape of Despair à celles, plus enfumées et métaphysiques, d'Esoteric, et du son agressif et vibrant de SunnO))) à celui, profond et mélodique, de Type O Negative. Pour remédier à ce risque de confusions, les metalleux ont créé des sous-genres (dans l'ordre des groupes cités, on pourrait coller les labels "funeral doom", "dark experimental", "drone", "gothic metal") qui renforcent encore l'incrédulité du non-initié pour lequel, au moins, le mot "doom", qu'on peut traduire par "destin funeste" ou "fatalité", portait l'idée principale d'une musique sombre et majoritairement inspirée par l'inéluctabilité de notre sort.
Autrement dit : naître, en chier, mourir. (Quoi ? On ne peut pas être poète tout le temps.)
Aussi, mettre une étiquette à Öxxö Xööx risque d'inspirer encore une fois un désarroi important au pauvre découvreur des terres étranges du spleen musical, car cette étiquette serait longue et pleine de vocables différents. Bien que le style de leur premier album "Rëvëürt", sorti en octobre 2011, soit plus proche du gothic metal que du doom à proprement parler, et que le chant très grave et plaintif descende en droite ligne des précurseurs Type O (les mélopées de la fin de la très belle "Nöc Säë" en témoignent), on y décèle également des inspirations musicales et des orchestrations plus proches de la musique baroque, des mélodies de piano et de clavecin qui tirent sur le néo-classique (l'intro de "Lïnï" en étant un parfait exemple), des éléments empruntés à la musique électronique (les glitches de "Ctënöphörä"), des poussées tout en blast-beats et en double pédale qui nous ramènent plutôt du côté du black-metal ("Yüm"), l'agressivité en moins : le groupe dieppois, auquel Gautier Serre (l'homme derrière Igorrr) contribue dans un style bien plus paisible que celui de ses autres groupes Vladimir Bozar And The Sheraf Orkestar et, à plus forte raison, Whourkr, est un projet terriblement ambitieux sur le plan musical.
"Ctënöphörä", quatrième piste de l'album (et aussi la plus longue de "Rëvëürt" avec ses treize minutes).
Au niveau conceptuel, on est gâté aussi, puisque Laurent Lunoir et Laure Le Prunenec, créateurs originels de l'hydre désormais tricéphale Öxxö Xööx, ont poussé le projet bien plus loin qu'un groupe de musique classique. Le langage qu'ils ont inventé, nommé l'Öx, et dans lequel toutes les paroles de "Rëvëürt" sont écrites, permet tout à la fois de redonner à la voix le rôle dominant d'instrument musical et de détacher l'écoute de la recherche de sens logique et commun ; c'est une façon de court-circuiter l'interprétation classique, de la même façon que la fusion des styles musicaux permet à l'esprit de se détacher d'une forme particulière et de ses repères préconçus et l'oblige à se laisser porter par le courant.
Création d'un langage propre, séparation de la forme musicale, expression d'émotions transcendantes à l'esprit humain... Ca ne vous rappelle personne ? Moi, si.
Certes, la démarche en elle-même n'est pas vraiment originale, puisqu'on peut au moins la faire remonter au début des seventies, avec Genesis qui s'amusait à créer de toutes pièces des mots ou des tournures de phrases pour faire passer une idée, puis des artistes comme Lisa Gerrard (de Dead Can Dance) dans les années 80 ou plus récemment Jon Birgisson (de Sigur Ros) qui sont allés jusqu'à créer leur propre langage -- sans recourir en revanche à leur utilisation systématique, contrairement à... non, allez, je ne citerai pas leur nom cette fois-ci. Ce qu'il faut reconnaitre en revanche à cette initiative, c'est qu'elle s'inscrit dans une démarche artistique non plus innovante, mais résolument créatrice, si on y applique la nuance sémantique selon laquelle l'innovation s'inspire de méthodes existantes dans un but pratique et applicatif, tandis que la création passe par une scission, et est inspirée par la volonté de s'éloigner des schémas classiques et des formes usuelles.
"Tërëä", deuxième piste de l'album. Un format légèrement plus réduit, mais au moins autant d'émotion.
Cette démarche en elle-même n'est certes pas un gage de qualité a priori, mais dans le cas d'Öxxö Xööx, elle s'inscrit dans un tout clairement inspiré, cohérent et saisissant. L'univers du trio est dense, chargé en ressentis forts, empli dans le même temps de spleen et d'espoir et fusionnant les deux dans une vibration émergente, porteuse de force et de sérénité ; il fait écho à nos sentiments les plus profonds, à notre désir d'émancipation et de liberté, à notre impression intermittente -- et rapidement censurée par notre esprit pratique -- de ne pas vraiment être à notre place, et nous offre à la fois un terrain souple sur lequel laisser fleurir nos émotions, nos doutes ou nos élans méditatifs, et un étrange réconfort à l'idée que nous autres solitaires ne sommes pas isolés, et que l'Art fera sans doute grandir et embellir Kobaïa, qui attend notre retour avec autant d'ardeur que nous espérons son avènement.
Bandcamp (six titres, soit 58 minutes, de l'album en écoute + informations et lexique Öx) :
MySpace : http://www.myspace.com/oxxoxoox
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