Quel délicat plaisir, en rentrant d'une journée de travail morne et terriblement ordinaire, de découvrir dans sa boîte aux lettres le livre ou le disque qui va embellir la soirée que, sans lui, nous aurions passé à écluser du whisky bas de gamme pour oublier que nous payons les traites de la voiture qui nous sert à aller travailler avec l'argent que nous rapporte le travail que nous avons dû accepter pour la payer, le tout en attendant sans y penser la Faucheuse qui nous soustraira de cette vacuité pour nous précipiter vers le Grand Vide. (Non, je déconne, je ne chronique pas un CD de doom cette fois-ci.)
Non, je ne parle pas de ça. Idiot que tu es.
Alors, quand en plus le CD est gentiment offert, bordel de merde, ça ne se refuse pas. Apparemment, certains connaissent à la fois mes goûts musicaux et mon amour de la bonne surprise, puisque "Half the Sky", le deuxième album du groupe suisse Yog, est arrivé dans ma boîte aux lettres, comme ça, sans prévenir, il y a maintenant plus d'un mois. Oui, je sais, je suis en retard, mais bon, vous savez ce que c'est, le temps ne nous laisse pas vraiment le temps de prendre le temps de faire les choses à temps, tant le farniente est tentant. Qu'à cela ne tienne, maintenant que je le connais par cœur, je vais pouvoir en parler encore mieux. Vous devriez me remercier, au lieu de geindre, bande d'ingrats.
Et tant que vous ne me paierez pas pour écrire mes conneries, je prendrai un malin plaisir à vous chier sur la tête. Qu'on se le dise. (Et les lunettes vous vont mal, vous avez pensé aux lentilles ?)
Après trente-trois secondes d'une douce introduction, "Half the Sky" ouvre sur un mathcore de très bonne facture. Dès la première attaque sonore, nommée "Needle in Black", l'énergie virulente de la musique de Yog s'exprime, qui ne sera pas en reste le long de cet album, hélas très court (28 minutes à peine, probablement son seul point négatif).
Dans l'ensemble, cet opus est très difficile à placer. Il parvient à jouer avec les règles du style musical, sans jamais les violer ou leur manquer de respect : les structures, et la façon dont elles sont utilisées, mêlées et trafiquées, s'accordent aux canons du genre que des groupes comme The Dillinger Escape Plan ont établis (et auxquels le titre de chanson "Calculate the Plan and Espace" semble faire ouvertement référence -- je propose le sous-titre "The Infinite Dillinger is 43% Machine") ; cependant, des ouvertures à d'autres styles, sortes de fantaisies ponctuelles, viennent émailler la musique de Yog, et discrètement la teinter et la revigorer, comme la petite poussée de chant clair superbement placée de "Fistfuck on the Way Home".
Mon choix initial se portait sur "Fistfuck on the Way Home", "Ugly Liars Behind Baby Masks" et "Plastic Child", mais puisque j'ai choisi d'obéir à la seule -- et plus que compréhensible -- requête du groupe, ce seront trois autres titres qui illustreront cet article, dont le tout premier, "Needle in Black".
En outre, le groupe helvète semble savoir le risque de jouer continuellement à 11, et prend plaisir à rompre la monotonie à peine naissante de son mathcore énervé par des passages plus calmes, voire ambients, mais jamais gentillets ou édulcorés d'une quelconque manière. La transition instrumentale "Plastic Child" développe une étrangeté singulière -- ce qui serait presque un pléonasme -- qui est mise en relief ensuite par son intégration à des titres comme "Ugly Liars Behind Baby Masks" et "Adam Wanted to Stay the Only One".
Ou celle-ci, dans une légèrement moindre mesure. ("92%".)
Force est de reconnaître que l'on reste à une certaine distance de l'assaut sonore glauque et impitoyable que nous promet le texte alléchant du label ("Extreme virulence, sick blast beats, mentally ill math-grind (...) a pure war machine") ; les véritables musiques saute-à-la-gueule, armées et dangereuses, celles qui nous laissent un goût âcre et délicieusement dérangeant, ne se trouvent plus du côté du mathcore pur et dur, mais sont plutôt à chercher dans le post-black (qu'il tende vers le hardcore, comme Ion Dissonance, ou vers les dissonances de fond de cave, comme Blut Aus Nord ou le récemment révélé Dodecahedron dont je parlerai sous peu), les hybrides death-metal (les toujours aussi menaçants The Amenta en tête) et autres symphonies post-industrielles, horripilantes comme un souffle dans la nuque.
En fait, Yog paraitrait presque inoffensif, si on choisit bien son angle de vue. ("Calculate the Plan and Escape". Ecoutez-la après "Whore" de The Amenta, vous verrez ce que je veux dire.)
Cependant, et même si ça ne pend pas, "Half the Sky" est un album particulièrement bien composé et interprété, qui présente un supplément d'âme difficile à véritablement décrire, quelque part entre les choix de riffs et les discrètes variations introduites, entre l'orthodoxie mathcore et le goût de l'expérimentation subtile ; il ne se contente pas de prendre la suite de "Years of Nowhere", avalanche de blasts colériques sortie en 2007, mais ose aller plus loin, parvenant à effacer cette relative crudité/froideur qui ressort de ce premier opus plus violent, au final, car moins subtil. Ce qui ne signifie en aucun cas que "Years of Nowhere" n'était qu'un brouillon : il s'agissait déjà d'un très bon album, inspiré et captivant, sauf que "Half the Sky" a défini un nouveau standard du groupe, plus abouti et puissant, mais plutôt à côté du précédent que vraiment au-dessus... un peu comme Gojira est passé de l'énergie octodirectionnelle de "Terra Incognita" à celle, pachydermique, de "The Link", si vous voulez.
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Le premier album a du coup un côté plus grindcore qui ne manque pas de nous entraîner vers les circonv--CIRCLE PIIIIIIIIIIIIT ! ("Secrets", sur "Years of Nowhere.)
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2 commentaires:
...jouer à 11 ?
http://www.youtube.com/watch?v=S-2PtcikQJ4
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