Une fois n'est pas coutume, au lieu de me répandre en périphrases extatiques dans une longue prose dithyrambique dédiée à la carrière d'un groupe, je me répandrai en périphrases extatiques dans une longue prose dithyrambique dédiée à un album seulement. Je ne tiens pas à ce que l'on n'y voie qu'une fainéantise passagère qui m'empêcherait de fouiller dans la discographie du groupe, qu'en toute honnêteté je connais plutôt bien (d'autant qu'elle n'est pas non plus immense, quatre albums à peine) ; il ne s'agit pas non plus d'une simple tentative de faire de la promotion pour la dernière sortie studio d'amis ou de sponsors officieux, puisque les premiers ne paient pas assez cher et que les seconds sont malheureusement inexistants pour l'instant -- si vous êtes intéressés, n'hésitez pas à m'adresser vos propositions indécentes que j'étudierai avec la plus alléchée des attentions.
Du pognoooooon ! Je veux du pognoooooon !
Non, je veux juste parler d'un album qu'encore maintenant, soit dix ans (et deux mois) après sa sortie, je considère comme frisant la perfection. Il s'agit de l'album "Death's Design" du groupe Diabolical Masquerade. Enfin... "groupe" est un bien grand mot. Diabolical Masquerade était en réalité le projet d'un seul homme, Blakkheim (alias Anders Nyström), qui voulait, en parallèle de son premier groupe Katatonia auquel il appartient depuis sa création en 1992, explorer des ambiances plus proches d'une sorte de black-metal théâtral et clair-obscur. Dans ce style, il a sorti trois albums entre 1996 et 1999, et je ne saurais que vous les recommander, particulièrement le troisième "Nightwork", si toutefois le genre vous sied.
Non, pas ce Nightwork-là...
C'est en 2001 que sort le quatrième album de Diabolical Masquerade, dont on ne saura qu'en 2004 qu'il restera le dernier sous ce nom, Blakkheim déclarant ne pas retrouver l'inspiration qui lui permettrait de composer un successeur, ce que je regrette toujours amèrement. Car "Death's Design" est une oeuvre expérimentale, recherchée, inspirée, débridée, émotionnellement puissante, et radicalement nouvelle. Je préfère en effet annoncer la couleur immédiatement, afin qu'on ne pense pas que ce n'est qu'un album de black symphonique. Si vous voulez écouter du bläärk-mëthöl avec des arrangements classiques, sachez que l'excellent "Puritanical Euphoric Misanthropia" de Dimmu Borgir est sorti le même mois (mars 2001), et qu'il saura vous ravir. Mais "Death's Design" ne joue pas dans la même cour.
Huitième mouvement de l'album : "Old People's Voodoo Seance", "Mary-Lee Goes Crazy", "Something Has Arrived", "Possession of the Voodoo Party".
L'album a été présenté par Blakkheim lui-même comme la bande originale d'un film qui n'est jamais sorti suite à un problème de droits d'auteur, et qui devait raconter l'histoire d'une personne luttant contre la mécanique bien huilée de la mort qui, on le sait, se rit sciemment de nous, la garce. Cependant, il m'est impossible de confirmer ou d'infirmer cette explication de texte, aucune source ne s'accordant à une autre. Ce fil conducteur oriente néanmoins clairement la construction de l'album : 20 mouvements, eux-mêmes divisés en une à six parties jointes les unes aux autres (souvent, une par variation, mais ce n'est pas une règle immuable), ce qui fait que l'opus est au final divisé en 61 pistes, et des rappels de lignes mélodiques ou de lignes de paroles qui donnent une cohérence étrange aux 46 minutes de l'album.
Troisième mouvement : "...And Don't Ever Listen to What It Says", "Revelation of the Puzzle", "Human Prophecy", "Where the Suffering Leads".
Dérivé du black sympho, certes, mais métissé avec une telle gamme d'autres styles musicaux (musique classique, rock progressif, thrash, bandes originales de films bien sûr, musiques tribales...) que l'étiquette "avantgarde" est au final la seule qui puisse à peu près lui correspondre, cet album est un objet inédit, un OMNI en perpétuelle mutation, si inspiré qu'il en devient indubitablement unique. Même sur le plan simplement technique, cet album est une bombe : la composition est irréprochable, parvenant à intégrer des éléments totalement décalés (de la partie de chant clair néo-romantique de "The Inverted Dream / No Sleep in Space" au court solo de mellotron -- oui, je pense que c'est du mellotron -- sur "A Hurricane of Rotten Air") sans jamais sombrer dans le ridicule, appuyant un côté théâtral volontairement poussé sans s'appuyer sur les facilités d'un vaudeville musical de mauvaise facture -- exploit que seul le groupe Notre Dame, à ma connaissance, parvient à réaliser sans ennuyer ; et le mastering de l'album est impeccable, propre et soigné, parfaitement équilibré, avec seulement un son de batterie qui, quand on tend l'oreille, trahit par son esthétique sonore le fait que cet album a dix ans.
Septième mouvement de l'album : "The Enemy is the Earth", "Recall", "All Exits Blocked", "The Memory is Weak", "Struck at Random/Outermost Fear", "Sparks of Childhood Coming Back".
Vous me direz : "bon, OK, ce mec a osé mélanger comme un furieux, prendre des p'tits bouts d'trucs et puis les assembler ensemble, et sa menuiserie démoniaque a fonctionné, mais quid du ressenti ? au-delà de la prouesse technique, certes admirable, y a-t-il ce petit plus produit qui peut nous faire décoller de nos sièges, comme ça, sans prévenir ?" Mes chers amis, tout d'abord je tiens à préciser que c'est une excellente question et que je vous remercie de me l'avoir posée, mais je vais aller plus loin : la réponse est oui. Non : la réponse est OUI ! Wouoh putain, oui. De l'ambiance victorieuse et haletante (le douzième mouvement, ou le grandiloquent dix-neuvième, "happy end" de l'opus) à celle, sombre et prenante, qui nous noue les tripes (le deuxième mouvement, le quatrième, la très belle "They Come, You Go" qui constitue à elle seule le quinzième mouvement), en passant par d'étranges mélanges à l'esthétique troublante (le black-metal/musique égyptienne du seizième mouvement par exemple), le souhait de Blakkheim de créer un rendu "cinématographique" est parfaitement exaucé, nous promenant dans une gamme de ressentis variée contre laquelle on ne peut pas grand-chose.
Deuxième mouvement : "Conscious in No Materia", "A Different Plane", "Invisible to Us", "The One Who Hides a Face Inside".
Voilà. Plus rien à déclarer. Cet album est tout simplement un chef-d'oeuvre duquel je ne me lasserai jamais.
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