J'arrive probablement un peu après la bataille, puisque beaucoup déjà ont parlé de Dodecahedron, jeune groupe néerlandais de post-black metal dont le premier album éponyme est sorti le 20 janvier 2012 ; et la presse spécialisée de se répandre en dithyrambes sur un premier album innovant et dérangeant à côté duquel le "Ordo ab Chao" de Mayhem n'a qu'à bien se tenir et qu'on attend avec impatience la suite de l'aventure de ces jeunes prodiges, je vous épargne le reste. Autant dire que l'image zen et rigolarde que l'on se fait des Pays-Bas (et non pas de la Hollande, car je n'aime les synecdoques que quand elles sont volontaires) s'en prend un coup. Au moins, Mayhem est norvégien.
Norvège : l'autre pays de l'Amour. (Photo : Thomas Olsen, Berlinkontoret.)
Et puisqu'on en est à la revue de presse, artifice hasardeux grâce auquel je compte bien rallonger ce texte par de quelconques inepties indignes d'un quelconque articulet papier -- ce doit être pour ça que Rock Hard ne m'a toujours pas recruté -- il va de soi que Dodecahedron a droit dans une grande partie de la presse spécialisée à des comparaisons élogieuses à Deathspell Omega, ce qui n'est pas très étonnant puisque le combo poitevin exerce lui aussi son talent dans la catégorie "black post-apocalyptique", mais qui me déçoit quand même tant les façons de faire semblent différer (le dernier Deathspell Omega, et le seul que je connaisse pour l'instant, "Paracletus", me faisant plus penser à un savant mélange de Satyricon période "Rebel Extravaganza" et d'Ebony Lake mouture 2011, bien que le compère Locust Star, rédacteur du jeune et fringant Hear Me Lucifer, semble plus y retrouver ses petits).
Hop, petite pub en passant.
Ces comparaisons, bien qu'elles soient probablement justifiées par le désir basiquement humain de faire recoller toute nouveauté à des éléments déjà connus (et donc maîtrisés), me semblent desservir Dodecahedron plus qu'elles ne le soutiennent. Ranger ce groupe dans la catégorie du post-black est inévitable, mais le comparer en permanence à Mayhem et Deathspell Omega, ce que même le texte promotionnel de l'album se complait à faire, ferait trop vite oublier que leur première galette est une œuvre terriblement ambitieuse et complète, trop occupée à créer son univers pour pouvoir prendre le temps de s'acoquiner avec ses "pères spirituels".
"Allfather", introduction d'album ravageuse, à grands coups de riffs surpuissants. (Promo photo : Reinier Bonis.)
La maturité de ce groupe est tout simplement stupéfiante. Là où même les débuts de Blut Aus Nord avaient quelque chose de terriblement cadré et orthodoxe, Dodecahedron fait voler les barrières et les limites dès ses débuts. Certes, on retrouve ça et là des éléments presque familiers : le black-doom de "Vanitas", les riffs black/épique du début de "View from Hverfell Part II : Inside Omnipotent Chaos", la "mosh-part" tremolesque de "View from Hverfell Part III : A Traveller of the Seed of the Earth"... En revanche, la façon de combiner ces éléments, de jouer avec les dissonances (les deux premiers titres "Allfather" et "I, Chronocrator" en sont des exemples particulièrement frappants) et les ambiances noires à en crever (l'enchaînement entre la fin de "I, Chronocrator" et la longue et poisseuse "Vanitas"), d'amener des sonorités par surprise pour mieux nous faire sombrer (les pointes de vocodeur de "Vanitas", le dark-ambient grésillant de "Descending Jacob's Ladder", les rythmiques en 7/4 de "View from Hverfell Part II : Inside Omnipotent Chaos"), et de ne jamais nous laisser nous appuyer sur nos acquis (en jouant sur la dualité black/ambient avec une grande finesse), est radicalement innovante, et insuffle tout au long de ce premier album une noirceur rare et radicale.
"Vanitas". When you look down into the abyss... (Photo promo : Reinier Bonis.)
Cet album est difficile à digérer, parce que littéralement étouffant. Nous sautant à la gorge dès les premières secondes de "Allfather", à coups d'assauts de guitares râpeuses et douloureusement dissonantes, il nous entraîne petit à petit dans ses abysses, plus mid-tempo et moins directement agressives, mais chargées d'une ténèbre singulière (merci) et incroyablement tentante, avant un retour en puissance de fin d'album qui, douloureux point d'orgue de 50 minutes de jeu de nerfs, nous laisse cependant capter une étrange clarté, comme un souffle d'air frais qui viendrait discrètement nous décontaminer.
Au final, prend-on un plaisir purement malsain à écouter cet album, ou, au contraire, apprécions-nous plutôt l'aspect cathartique de cette expérience ? Ou aucun des deux ? Il y a peut-être quelque chose de profondément jouissif dans cet album, une façon d'agencer les sons apte à nous faire bander le cerveau reptilien, qui sait ? En tout cas, quand, en guise de premier album, un groupe nous sort une trempe de cette maturité et de cette originalité, à mille lieues de cette immense vague de black-metal inoffensif qui nous rebat les oreilles jusqu'à nous en coller la nausée, on ne peut que remercier le Ciel (ou un quelconque émissaire d'une quelconque et éventuelle puissance supérieure) de nous envoyer une telle offrande.
Site officiel : http://www.ddchdrn.com/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire