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mardi 15 mars 2011

Ion Dissonance


J'entends des frustrés du riff qui tâche, là, au fond de la salle, qui trépignent et râlent. Funeral doom, hip-hop taré : c'est bien beau, tout ça, mais où sont les rythmiques épileptiques, les montées de guitares qui esquintent, les gueulantes rageuses ?

Réjouissez-vous : elles sont là.

Ion Dissonance, groupe de metalcore québecois formé en 2001, est une sorte de moissonneuse-batteuse folle possédée par l'esprit d'un démon en colère (ou l'inverse, du genre "Amduscias a lâché les cuivres pour jouer de la huit-cordes à moteur" ?.. saloperies de métaphores vaseuses). En mettant ce groupe en parallèle avec le reste de ma culture musicale, deux remarques me viennent immédiatement à l'esprit :
  • les Québécois sont décidément très forts quand il s'agit de faire de la musique folle et savamment agencée ;
  • cette façon de partir du metalcore chaotique et d'y inclure des influences petit à petit me fait pas mal penser à The Dillinger Escape Plan.
Pour ceux qui ne connaissent pas encore : The Dillinger Escape Plan, "Panasonic Youth", sur l'album "Miss Machine" (2004). Le clip à la David Fincher n'est pas mal non plus.

Sur le premier point, je pense notamment à Unexpect, dont j'ai déjà parlé ici, ainsi qu'au groupe de death-grind technique Cryptopsy, dont l'inventivité a pour moi atteint des sommets sur le superbe album "Once Was Not", un petit bijou de grind épique avec des mélodies qui frappent, du genre "Cephalic Carnage a fait un concept-album sur l'Yggdrasil". Sur le second, c'est une observation simple : le premier album du groupe, "Breathing is Irrelevant", sorti en 2003, est un très bon album de mathcore, furieux et graisseux, mais qui fait vraiment penser à son géniteur direct, et qui aurait pu passer relativement inaperçu. La pierre fondatrice du genre, "Calculating Infinity" de Dillinger (le fameux géniteur), est sortie quatre ans avant, elle-même dérivée du style de l'excellent Converge qui est né au tout début des années '90 ; autant dire qu'il faut en faire beaucoup pour réussir à se faire remarquer...

Ca tombe bien : Ion Dissonance en fait beaucoup. La composition est précise, le riff incisif, les moshparts efficaces (bien que rares), ça suinte la rage et la lourdeur. Comment décrire plus avant ? Si je parle de syncopes et de dissonances, vous allez me demander en quoi c'est mieux ou moins bien que du Dillinger, pas vrai ? Ecoutez, au lieu de me demander, merde, vous m'avez pris pour votre mère ? (Excusez-moi, je vais me reprendre un cacheton.)

"Oceanic Motion". Le son de l'album est bien meilleur que le son Youtube...

Le successeur de "Breathing is Irrelevant", plus sobrement nommé "Solace", entame deux années plus tard une évolution discrète. Les sons se font légèrement plus sombres, plus "crissants", mais encore dilués dans une folie épileptique typique du mathcore. L'album est bon, sensiblement autant que le précédent, mais on sent que l'évolution est requise, que le groupe pourrait lasser en continuant sur cette voie, qu'il l'assècherait à force d'y chercher la pépite d'or qu'il y a pourtant déjà déniché. Loin de moi, néanmoins, l'idée de dénigrer l'album, mais il est à mon sens le moins important de la discographie du groupe.

Ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas bon... ("O.A.S.D", deuxième chanson de l'album, pas la meilleure d'après moi, mais Blogspot refuse d'embedder "Nil:Solaris". Le salaud.)

C'est en 2007, avec "Minus the Herd", qu'Ion Dissonance revient vraiment en force, et nous présente son nouveau style. Les structures rythmiques et leur petit quelque chose Meshuggien (l'intro de "Shunned Redeemer", dont la rythmique revient en courant de chanson, annonce clairement la couleur à ce niveau) ne sont plus au centre de l'attention : le groupe travaille ses ambiances avec une énergie toute nouvelle. Les riffs se font plus sombres, plus pesants, intégrant au savant mélange grésillant/crissant de la guitare hardcore une inspiration black-metal nette -- notamment au niveau de certaines dissonances caractéristiques -- et l'aspect mathcore du groupe se dissout quelque peu, au profit d'une lourdeur et d'une efficacité qui donnent envie de headbanger en levant le poing (ce que les deux opus précédents permettaient très peu). La nouvelle pesanteur que le groupe a su acquérir et travailler permet de mieux savourer les ambiances. Le chant se nuance également, loin du côté criard du début ou des hésitations black/core de l'opus suivant, incluant des parties presque parlées, les hybridant avec des screams efficaces et moins saccadés.

"Scorn Haven", tirée de "Minus the Herd" : lourde et vivante.

Le groupe enfonce définitivement le clou avec l'excellentissime "Cursed", sorti en 2010. Après une intro éponyme sombre comme du black-metal du garage, Ion Dissonance envoie un des riffs les plus assassins de sa carrière sur "You People Are Messed Up", sorte d'hybride monstrueux composé avec la main droite en mode Gorgoroth et la gauche en mode Psyopus, l'ensemble de l'album semblant d'ailleurs inspiré de ce dernier groupe dans une certaine mesure.

La voici. "You People Are Messed Up". Elle fait du bien par où elle passe.

Pour rassurer les moins amateurs de mathcore psychoactif, "Cursed" est et reste néanmoins un album de hardcore/black enragé, le groupe s'éloignant encore de ses structures incompréhensibles du début (mais il en garde quand même quelques-unes, jeter une oreille à "No Care Ever" par exemple) pour officier dans une musique toujours technique mais plus directe : les passages propices au headbang sont légion (notamment l'énorme "what the fuck is the matter with you ?" sur "This Is The Last Time I Repeat Myself"), la vitesse est parfois sacrifiée au profit de l'efficacité (la conclusion de "The More Things Change, The More They Stay The Same" ou "This Is Considered Mere Formality" et son intro très typée Meshuggah, pour le compte), et il en résulte un album novateur, aux ambiances prenantes comme du The Amenta nourri aux farines animales (l'ambiance glauque de "We Like To Call This One Fuck Off"), et dont le nom est magnifiquement trouvé, finalement...

"This Is The Last Time I Repeat Myself", intro mathcore bien hachée, puis descente aux enfers du headbanging sauvage. "Quoi la baise est le problème avec toi ?" (Merci à Google Traduction.)

En quelques années, Ion Dissonance a épaissi un son délicatement haché avec des ambiances délicieusement sombres, pour créer un hybride étrange et prenant qui, paradoxalement, aère le mathcore en le rendant suffoquant. On ne comprend pas trop comment ça marche, mais on se laisse vite avoir... et on en redemande, le coeur palpitant et la bouche sèche.



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