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jeudi 9 juin 2011

Scarve


Combien de fois faudra-t'il te le dire, petit lecteur idiot, avorton trichromosomique, enfumé du cortex ? La France a dans le metal le bleu qui manque à son décor. Je vous en ai balancé, des groupes français qui décollent la cervelle, bande de mous de veaux sur pattes, et je vous jure que je ne vais pas m'arrêter là : celui qui est l'objet de cette chronique a sans doute plus marqué ma jeunesse que l'amour illuminé que je vouais à la sœur de leur chanteur, qui était dans ma classe à l'époque -- ô douloureuse année de terminale -- et qui, à défaut d'avoir répondu présent à l'appel de mes hormones, m'a offert des skeuds du groupe de son frangin, dont j'étais déjà fan bien avant de me rendre compte que, décidément, le monde est petit. Pierrick Valence, chanteur nouvellement recruté (à l'époque) dans le groupe nancéen Scarve, frère de la belle Stéphanie avec qui je partageais mes amours guitaristiques dans la cour d'un lycée des Bouches-du-Rhône.

Non, je déconne. On avait un minimum de goût, même pour des lycéens.

Bref. Parlons un peu musique, pour changer. Parlons de ce groupe génial, formé en 1994 par le batteur hallucinant Dirk Verbeuren et le guitariste non moins talentueux, bien que moins connu, Patrick Martin.

Le premier album de Scarve, "Translucence", sort en l'an 2000, la même année que "Clayman" de In Flames, "Blackwater Park" d'Opeth, l'album éponyme de Hatesphere, "Haven" de Dark Tranquillity, "Into the Abyss" d'Hypocrisy... Autant dire : pas la meilleure année pour faire son trou dans quoi que ce soit qui ressemble à du death progressif. Avec cet album, Scarve parvient pourtant à tirer son épingle du jeu, en proposant un mélange détonant de death-thrash incisif ("NerveCurrent9" est un sévère rouleau compresseur) et de mélodies surprenantes (les parties chantées de "Freaqualized"), presque maladroit parfois (le chant clair de "Your Solid Waters", vachement heavy-metal -- je vais me faire haïr avec des répliques de ce genre) mais toujours très cohérent. Certains morceaux sont clairement au niveau des têtes d'affiche de l'époque, dont la superbe "Luminiferous", et ce malgré une production parfois brouillon, ce qui est surprenant quand on sait qu'elle est de Daniel Bergstrand, à qui l'on doit celles de Meshuggah, Strapping Young Lad ou encore... oh tiens, In Flames. La reprise de "Friends" de Page & Plant, qui conclut l'album, est aussi surprenante que réussie, juste compromis entre la douceur de la chanson originale et la rugosité du style du groupe.

"NerveCurrent9" : pif, paf, pif, paf.

C'est véritablement avec "Luminiferous", en 2002, que Scarve s'impose comme un groupe phare du metal français. Le son s'est raffiné, plus chaud, plus personnel aussi ; les influences se sont fondues, rendant les déferlantes death/thrash (dont "Emulate the Soul", qui introduit l'album ; "Capsized" ; la décoiffante "Infertile Ways") plus puissantes et donnant du cachet au jeu sur les voix (les doubles voix chant/grunt de "Crustscraper", le chant clair racé de "Capsized"). Scarve ose également une plus grande complexité rythmique, flirtant avec la déstructuration meshughienne (désolé, mais je vais encore citer "Capsized", qui est un résumé de ce que le groupe sait faire de mieux), autant que les ambiances venues d'ailleurs (l'intro très industrielle de "Emulate the Soul", le côté presque ambiant -- et totalement magnifique -- de "Futile Resilient"), et se permet une reprise du groupe de death old-school Entombed ("Serpent Speech") en plein milieu d'album, comme un grand pied-de-nez musical : "on fait ce qu'on aime, et on le fait bien". Un petit bémol, peut-être, pour la dernière piste de l'album, "Blackloader", qui est peut-être la moins aboutie de l'album.

Devinez laquelle c'est ?..

Deux ans plus tard, le troisième album "Irradiant" met tout le monde d'accord. Les riffs sont tout simplement énormes (le tapping qui ouvre la chanson "Irradiant" reste très longtemps en tête, vous aurez été prévenus), les rythmiques encore plus frénétiques ("Mirthless Perspectives", "Fireproven") et techniques (la tordue "Asphyxiate" sur laquelle Monsieur Fredrik Thordendal vient poser un "petit solo improvisé" incroyable), la mélodie encore plus poussée, jusqu'à l'incroyable "slow" "The Perfect Disaster", tout simplement superbe. L'excellente "Boiling Calm" (et son "I never meant to be this way" chanté/hurlé) conclut l'album sur un superbe riff mélodique renforcé par le jeu de batterie ahurissant, à la fois lourd et envolé, de Dirk Verbeuren, un batteur multi-compétences qui a participé à un nombre d'albums incroyables : Aborted, Mnemic, Sybreed, Yyrkoon...

"HyperConscience" : comme des restes de spiritualité, avec un titre pareil, non ?

En 2007, "The Undercurrent", avec sa pochette noir et blanc stylisée, ouvre encore un nouveau pan du groupe : là où on aurait éventuellement pu reprocher à "Irradiant" de trop rester dans la lignée de "Luminiferous", on ne peut que s'incliner devant l'évolution sonore incroyable que ce nouvel opus réalise. En pratique, c'est surtout l'inverse qui s'est produit : après que "Irradiant" a été acclamé comme un album à la limite de la perfection, "The Undercurrent" a souffert d'une sorte de grande incompréhension. D'une part, le mastering de l'album, très lourd et brut, a immensément surpris un public habitué à une esthétique death mélodique "à la suédoise", épaisse mais exagérément propre ; d'autre part, la densité de certaines compositions, à commencer par l'apocalyptique ouverture "Endangered", est très déstabilisante à première écoute. Dès les premières notes, on sait que Scarve a choisi de prendre des risques en poussant loin ses choix esthétiques, et qu'on a entre les mains un album qui est tout sauf facile d'accès. Les neuf pistes de l'album restent néanmoins dans une certaine continuité avec les œuvres précédentes : on reconnaît une sorte de "patte Scarve" dans la composition death/thrash et les mélodies vocales millimétrées ("Fathomless Descent") ; mais en cherchant bien, on y trouve encore une sorte de "supplément d'âme", une finesse particulière, une unicité remarquable, qui place cet album en marge de la production metal française ou internationale.

"Endangered", la chanson qui te la colle en pleine gueule.

Et maintenant, hein ? Maintenant que Scarve ne fait plus parler de lui, a sombré dans l'oubli et ne donne aucun signe de vie, qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire, hein ?.. Ô désespoir qui me ronge, quand je pense que la probabilité d'un cinquième album se fait de plus en plus infime. Le site officiel est abandonné depuis deux ans, le MySpace n'a pas non plus fière allure... Eh, les mecs, ne nous laissez pas tous seuls. D'accord, il nous reste Klone, Hacride, Om Mani et plein d'autres, mais... mais sans vous, c'est pas pareil.



Site officiel désaffecté : http://www.scarve.org/

MySpace silencieux : http://www.myspace.com/scarve1

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