Découvert au Noxious Art Festival. Pas aimé. Trop carré, trop grésillant pour-le-plaisir-du-hardcore-sale, pas dans l'ambiance, raté le flow. Mais comme un simple live ne veut pas dire grand-chose, j'ai laissé une chance à Lingouf, et après l'écoute de quelques gros sons pas déplaisants, je me suis lancé corps et âme dans l'écoute de son dernier opus "Doème", sorti en cet an de grâce 2011 sur l'excellent label industriel allemand Ant-Zen. Ce qui m'attendait dans cet album, c'était une énorme surprise, une richesse musicale que je n'aurais pas pu imaginer, des ambiances saisissantes, et une des découvertes les plus puissantes de mon année.
Danke schön !
"Doème" est une drôle d'odyssée sonore. Cet OMNI navigue allègrement entre un breakcore très teinté de gros hardcore/industriel qui tâche ("Pierroopoflonspa So'apem", "Do Me") et des influences classiques ("Jacento Cent23" et sa mignonne petite musique de chambre) et jazz explicitées par des parties instrumentales bien mises en valeur ("Dormek"). Bien entendu, le premier comparateur venu s'empressera de rappeler que les mélanges classico-breakcore improbables ont déjà été exploités par, en vrac, Venetian Snares (dont on ressent, soyons honnêtes, quelques influences sur le plan mélodique, notamment "Toap-Sirop" qui sent un peu le VS période "Hospitality" ou l'intro de "Do Me" aux violons qui fait des clins d'œil à "Rossz Csillag Alatt Szueletett"), Aphex Twin, Igorrr, et j'en oublie. Le second comparateur venu (pas plus de deux, s'il vous plait, ça me fout les glandes) ajoutera que les sonorités hardcore distordues et les rythmiques volontairement désaxées ont comme une sonorité à la Aphasia, et je ne pourrai pas non plus lui donner tort.
"Rovo Dot Oftog". Si un lecteur trouve le sens caché derrière ce rot de sons, qu'il me prévienne, merci d'avance.
Ce que ces comparateurs imaginaires, outils malgré eux de mon racolage musical, oublient totalement, c'est l'écoute de ce que Lingouf vient ajouter aux styles, la perception de cette petite touche personnelle qu'il distille dans sa musique. Loin d'une sorte de complaisance qui exigerait de lui qu'il tente la recréation d'un "Rossz Csillag..." -- parce que tant qu'à mélanger breaks et violons, autant faire ça "comme les grands", pas vrai ? -- le doux dingue préfère donner sa propre interprétation de la musique. Par le mélange obsessionnel d'une brassée d'inspirations dont la liste serait fastidieuse, pondant avec la même aisance des ambiances éthérées aux relents de glitch (l'intro de "Wiaoz" qui me fait penser au DJ Producer) ou des tueries industrielles presque agressives à force de distortion ("Oepema") et sautant des unes aux autres avec intelligence, il développe un univers musical labyrinthique, d'une richesse incroyable si tant est que l'on ose se lancer à l'exploration, un peu de 8-bit par-ci ("Wiaoz" encore), un peu de didjeridoo par-là ("Osmei"), tellement d'informations...
"Osmei".
Là où d'autres optent, soit pour la "solution de facilité" (pas tant que ça, en réalité...) du changement de style imprévisible -- parfois avec un effet humoristique indéniable, retournez donc écouter Igorrr ou Vladimir Bozar n' ze Sheraf Orkestär pour finir de vous en convaincre -- soit pour le consensus artistique au nom de la cohérence, Lingouf réussit à créer une œuvre équilibrée et captivante en mettant de tout en grandes quantités et en agitant le mélange sous une presse hydraulique. Tordu en large et en travers, mais mené de concert par une inspiration très variée, un sens de la mélodie affûté et un amour inconditionnel pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à du bruit, le multi-artiste (ah oui, je ne vous ai pas dit ? les visuels sont également de lui) nous livre là une œuvre rare, dix morceaux pour 76 minutes, à écouter quelques centaines de fois pour en saisir toutes les nuances. C'est fou, c'est lourd, c'est bruyant, c'est intense, c'est beau -- de cette beauté que beaucoup n'arriveront jamais à saisir, hélas...
Site officiel : http://www.lingouf.org/accueil.htm
1 commentaire:
très beau, en effet, on est d'accord
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