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vendredi 18 novembre 2011

Live review : 8bit'em'all (05/11/11, Le 6B, Saint-Denis)

Toutes les photos de cet article ont été gracieusement fournies par Odea, Uglybutter et Xander.
(Pas de photos de Bacalao, Spintronic et Dr Von Pnok disponibles. Sincèrement désolé.)

Mon Dieu, quel programme ! Atelier circuit-bending et apéro en musique gratuit, puis neuf heures de concert pour la monstrueuse somme de... cinq euros. Goddammit. Le plus cher pour la plupart des participants aura été le trajet vers la région parisienne -- par exemple pour les trois Troyens avec qui j'ai passé une grande partie de ce festival, depuis la première bière de 16h30 jusqu'à l'ennui péri-ferroviaire de 7h30, le lendemain matin, épuisés et affamés comme des guerriers après la bataille. Mais ne brûlons pas d'étapes.


Mon arrivée sur place sera périlleuse : je me lève tard, trop à mon goût, les trains sont rares, mais c'est une fois arrivé à Saint-Denis que l'aventure commence. Samedi, milieu d'après-midi : le marché rend les rues animées, vivantes, la ville a un cœur, je me remémore ce que Grand Corps Malade, au détour d'une des chansons de son premier album "Midi 20", déclamait sur cette cité à laquelle il voue un attachement sans défaut. En revanche, demandez où est le 6B, et même les vendeurs de magasins de jeux vidéo vous regarderont d'un air abruti, l'un d'eux osant même affirmer que si un grand concert 8-bit avait lieu quelque part dans sa ville, "il le saurait", et "qu'on avait dû mal me renseigner". Si tu lis ces quelques lignes, petit commerçant sympathique mais sans doute trop imbu de ta personne du bout de la rue Gabriel Péri, sache qu'il est temps que tu jettes un œil sur le 6B, comme ça, pour voir. Ce n'est pas bien loin de ta modeste échoppe, en plus.


C'est finalement un ami à moi, Killian, qui me tirera de ce mauvais pas en jouant le rôle de Kit. [Pour information, Killian est un jeune dreadeux rencontré lors de la soirée/nuit électro "Casse Ton Singe !" chroniquée en ces pages, et une sorte de mini-star puisqu'on le voit agiter ses dreadlocks dans le clip de "La Menuiserie" de Stupeflip.] J'arrive à 16h30, ce qui me semble déjà terriblement tard, au 6B, un immeuble de bureau désaffecté reconverti en lieu de rencontres artistiques. La salle de danse est occupée par une petite poignée de soudeurs/bidouilleurs chevronnés en train de massacrer des jouets pour enfants pour leur faire tirer des sons étranges (pas de Furby, étonnamment, alors que ce jouet est réputé comme étant un très bon point de départ pour le circuit-bending, une sorte d'artisanat du bidouillage et de la torture électronique). Parmi eux, je retrouve Youenn, alias Schematic Wizard, qui, après avoir travaillé sur une nouvelle track qui semble tout à fait alléchante, et sur la demande générale d'au moins deux personnes -- je n'ai pas eu le temps de compter, tout s'est passé tellement vite -- reprendra sous nos yeux du Nine Inch Nails [NdR : "The Great Destroyer" de l'album "Year Zero", merci à Morgane pour la précision] en version chiptune, grâce au séquenceur LSDJ pour Game Boy si ma mémoire est bonne.

Il y a aussi cette jeune fille qui, avec trois rouleaux de chatterton, fait un petit miracle sous nos yeux. 

L'apéritif tant promis est en fait plus une sorte d'accueil tranquille pour ceux des participants qui n'ont pas pu ou voulu être présents dans l'après-midi (c'est-à-dire la grande majorité) et l'occasion pour plusieurs labels indépendants et artistes divers de présenter leurs œuvres. Deux d'entre eux auront particulièrement retenu mon attention.

...cachés quelque part entre un drapeau bizarre et une NES bendée.

D'un côté, Arrache-Toi Un Œil, à qui l'on doit entre autres un certain nombre de superbes affiches de concert dans des styles comme le punk, le hardcore, le sludge ou le postcore (je découvrirai quelques jours après les avoir rencontrés le superbe travail que l'un d'entre eux a récemment effectué pour le concert de Neurosis et Amenra à la Machine du Moulin Rouge)...

What the fffff-shhhh-d-d-d-ohmagaditsawesome.

...mais qui profitent également de leur atelier de sérigraphie pour tirer de très beaux bouquins d'art, allant du portfolio d'une jeune artiste étrangère (asiatique, si ma mémoire est bonne... ah, si seulement leur site était déjà en ligne, j'aurais des antisèches) à la compilation de dessins d'artistes "décalés" dont le très talentueux et très sale dessinateur parisien rouennais [NdR : OMG !] Crao.

Et en plus, ils sont beaux.

De l'autre côté, le label indépendant Darling Dada qui, en plus d'avoir un nom improbable et un logo totalement fumé, propose dans la gratuité la plus totale les œuvres d'artistes... intéressants, allons-nous dire. J'y reviendrai bientôt.

Picture is unrelated.

C'est un peu fébriles que nous avons enfin accès à la salle de concert, avec un petit retard, pour le set de Rachitik Data qui ouvre le grand bal des englitchés. La musique de ce Black Knight parvient à superposer très naturellement des expérimentations très noisy à des rythmiques sales et soutenues, dans un style hardcore tendant parfois franchement vers le speedcore, et la participation de Computer Truck au chant (à vrai dire, plutôt des sortes d'incantations hurlées dans les restes court-circuités d'un mégaphone-jouet lui servant aussi à produire d'agréables larsens) est loin d'appauvrir son set, qui en devient une micro-performance très décalée et noisy.


Cette entrée en matière royale ouvre sur un artiste meilleur encore (à mon sens, tout du moins) nommé Klaten. Je vous avais promis que je reparlerais du label Darling Dada : Klaten en est l'artiste le plus prolifique pour l'instant, avec deux albums complets sortis en février et octobre 2011. La montée sur scène de ce jeune homme très hipster (petite moustache et chemise à carreaux d'origine) ne me rassure pourtant pas...


...mais son set, malheureusement trop court et visiblement perturbé par quelques nuisances d'ordre technique, fut une excellente introduction à son univers musical, un mélange ambitieux-sans-faire-exprès de drum'n'bass, breakcore et IDM, sur fond d'un amour éloquent des grosses basses post-dubstep et des sonorités électroniques des enfants de la génération NES. Autant dire que lui, son masque délirant et son énergie communicative se verront sans doute réserver un peu de place dans la Zeuhlerie un de ces quatre...

You rock, dude.

C'est le duo The Cheat Code qui prend la suite, que certains avaient apparemment déjà beaucoup apprécié en concert. Contrairement aux autres artistes de la nuit, ces deux-là sont au milieu de la foule, l'un frisé aux cheveux longs, barbu, bref : poilu de partout, l'autre avec un boitier d'écran cathodique autour de la tête, s'affairant autour d'une sorte d'arbre à câbles de deux mètres de haut où se mêlent accessoires pour NES (dont ce fusil pour jouer à Duck Hunt qui ne m'a jamais permis de tuer ce putain de chien !), jouets pour enfants, sèche-cheveux, et au pied duquel est posé un vieil aspirateur pas très joli.


Les amateurs de 8-bit "à l'ancienne" retrouvent facilement leurs petits dans ce set révérencieux envers les musiques de jeux rétro sans se limiter à la simple tentative de copie, et les curieux toucheront "l'arbre" avec curiosité et amusement, et assisteront hébétés à un superbe jeu d'aspirateur... lequel semble en fait contenir un ou plusieurs accessoires circuit-bendés pilotés grâce à quelques boutons et potentiomètres. L'aspirateur circuit-bendé... Grande invention du XXI° siècle.


Un metalleux qui chante/rappe sur du 8-bit influencé par le breakcore, c'est forcément étrange. On a envie d'être curieux, de voir ce que ça peut donner. C'est que nous propose Divag, un chevelu à l'air... comment dire ?.. facétieux ! C'est une grande joie de le voir se faire plaisir, danser (mal), jouer (bien), se galérer un peu avec le matériel, reprendre quand même, avec toujours la même décontraction et le même naturel. C'est sur le plan musical que j'accroche moins, d'autant que son chant n'est pas toujours parfait et qu'on a parfois du mal à entendre ce qu'il raconte -- la faute, également, à une balance pas évidente à faire sur ce genre de musique. Mes jambes m'ont déjà abandonné, mais je suis la prestation avec une curiosité mêlée d'engouement.


Le suédois Goto80, qui prend la suite, m'interpelle rien que par son pseudo d'artiste. Déformation professionnelle : quand on code en Fortran, il y a des noms comme celui-ci qui nous parlent. Les ambiances qu'il pose en début de set, sur une 8-bit mid-tempo enrichie de sonorités sorties tout droit de chez Commodore, ont quelque chose de très particulier, un ressenti rare, difficile à décrire. Et puis, le monsieur s'amuse à divaguer, un peu de lounge par-ci, quelques sonorités iliennes par-là, du chant disto qu'on dirait sorti tout droit du "Fat of the Land" de Prodigy, pour revenir ensuite sur des rythmiques plus appuyées, avec quelques sons volontairement désaxés (comme peuvent le faire des Flying Lotus ou des artisans de la techno française -- non, je n'ai pas pensé à Mr Oizo, c'est faux), et conclure sur une sorte d'orgie 8-bit/speedcore totalement jouissive. Ce mec ne s'interdit rien, passe d'un genre à un autre avec une aisance insolente, et une heure en sa compagnie passe terriblement vite...


La fatigue s'emparant de moi (le milieu de nuit est sans doute le cap le plus difficile à passer), je regarde d'un peu plus loin le set de Bacalao, aux inspirations résolument house, presque "clubbing". Contrairement à quelques personnes passablement éméchées qui se mettent torse nu et se trémoussent sur ces sonorités plus easy-listening (et contre qui je râlerai ouvertement parce qu'en montant sur la sorte d'estrade à l'avant de la scène elles m'empêchent de voir les artistes, mais c'est surtout parce que j'aime bien râler), je n'apprécie pas particulièrement le style que joue le jeune homme ; je suis en revanche forcé de reconnaitre que la construction irréprochable de ses morceaux donne aussi à déguster de très agréables lignes de basses.

Picture is unrelated, épisode 2.

Eat Rabbit vient secouer le public encore plus fort, avec une sorte de live mix hardtek-to-hardcore enrichi de sonorités chiptune. Ce "son de teuf rétro" semble fortement apprécié par les beat-addicts venus nombreux, mais mes jambes en miettes m'empêchent de les rejoindre. Il me faut du repos, et un peu d'air frais. J'apprécie néanmoins le son, malgré une "orthodoxie" hélas symptomatique de presque tout ce qui se rapproche de la hardtek.



C'est un peu reposé que je me relève pour voir celui que j'attendais le plus, Dr Von Pnok. D'autres ne le verront pas de cet œil, mais malgré la très grande qualité du reste des artistes, il fut ma claque de la soirée, ni plus ni moins. Son sens de la mélodie est terriblement affûté, ses rythmiques de drum'n'bass minimalistes visent juste, tout en finesse, mais une finesse recouverte d'une agréable manipulation du bruit (que vous pouvez déjà apprécier dans le puissant "21122012", qui figure dans les vidéos du Zeuhl, et avec lequel le Docteur nous a régalé). Il y a véritablement de la création dans la musique 8-bit, et ce même dans la chiptune pure : Von Pnok ne joue qu'avec deux Gameboy reliées l'une à l'autre, qu'il fait chauffer en fin de set dans une déferlante poussant presque jusqu'au speedcore et se concluant dans un noise ravageur. On en aurait voulu plus...

Oh, Goddammit, je la remets : mesdames et messieurs, "21122012" de Dr Von Pnok, avec une visu audio-réactive en temps réel préparée par RealMyop. D'autres musiques très miam-miam sur son Soundcloud.

Difficile de ne pas être fine gueule après un tel concert ; c'est pourquoi je ne peux qu'être sceptique concernant Spintronic, qui est parvenu à trouver un équilibre totalement mystique. Je m'explique : ses mélodies sont simples, à la limite du putassier ; ses rythmiques sont standard ; ses arrangements sont classiques ; bref, sa musique est une sorte d'archétype de la musique chiptune. Et pourtant, ça marche, nom de Dieu ! En exploitant jusqu'au bout les possibilités de sa machine, et en contrôlant ses magouilles dans le cadre d'une musique bien ficelée, misant toujours sur l'efficacité, il nous offre un set d'une efficacité redoutable.

Je ne peux pas dire la même chose de Culomono, qui ne parvient pas, à mon sens, à retrouver cette efficacité. J'aurais probablement mieux apprécié sa musique en début de soirée, mais là, il est quatre heures passées ; la fatigue s'installe, et la lassitude avec ; le corps et l'esprit cherchent à être surpris, voire même brusqués, et le jeune espagnol ne va pas dans ce sens. Ne parlons pas d'ailleurs de sa reprise, bien trop convenue, de la fameuse musique du film "Requiem for a Dream" version hardtek/chiptune... Non, je n'accroche vraiment pas, malgré son savoir-faire évident.


La nuit se conclut par un concert plus rentre-dedans, provocateur, anticonformiste : celui de Computer Truck, qui reprend son haut-parleur diabolique pour accompagner, par des hurlements très "indus old-school" à l'allemande (bonjour Synapscape !), des instrus chiptune mouvantes, très variées -- donc très agréables à une heure si tardive -- et toujours très Do It Yourself, avec des gros morceaux d'expérimentations noisy et un côté punk indéniable. Un bricoleur de son, qui adopte volontairement une attitude musicale sale et jusqu'au-boutiste. Un régal à la limite de l'inconfortable. Bref, une fin de nuitée parfaite, et un artiste à revoir pour apprécier la performance. Initialement prévu à la soirée Casse Ton Singe !, il y aurait fait tâche... et ça aurait été génial.


A six heures du matin, nos oreilles tentent de se remettre de tous ces viols successifs... avec une certaine difficulté. On dit "au revoir" au lieu, parce qu'on sait qu'on y reviendra quoi qu'il arrive, et on attend le premier train du dimanche, à sept heures et demie, fourbus et soupirants, épuisés et affamés comme des guerriers après la bataille, nous en étions donc là. On sait que le dimanche sera difficile, entre siestes et ennui, et le lundi déprimant, avec sa normalité et ses sons ambiants trop propres, mais Dieu que ça valait le coup.

8 commentaires:

Henry Vomit a dit…

Hé mais Craoman il est de Rouen mec !

Modern Zeuhl a dit…

Holy fuck, je savais pas, et puis je viens de réagir que le style de dessin de certaines affiches de concert (comme celle où je t'ai raté au Squat du Lieu de Santé) me rappelait quelque chose.

Morgane a dit…

Hé hé, Youenn nous a effectivement bidouillé The Great Destroyer de l'album Year Zero de NIN :) Un grand moment.

Et une grosse soirée!

Très bon résumé de l'évènement ^^

Youenn a dit…

Bisou !
Keur

Modern Zeuhl a dit…

Bah il était temps que tu viennes par ici, SW. J'en parle !

SchematicWizard a dit…

Hé je suis là depuis longtemps ! (mais discret)

Culomono a dit…

Thanks for the CC, we all know you have to work harder, for me it was an incredible night, to share party with my favorite artists.
Thanks again

Modern Zeuhl a dit…

"we all know you have to work harder" : I don't get this part of your comment.
But, hey, thank YOU and all the other artists. It was indeed a great night !

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